Un jeudi de nivôse à battre le pavé

Il était jeudi. Nous étions plus de 30 000 Lyonnaises et Lyonnais à battre le pavé. Le mot d’ordre était clair: Non à la réforme des retraites. On pourrait voir ce rassemblement comme étant réactionnaire, étant contre un projet proposé. Il n’en est rien. Le rassemblement s’est fait sur l’alternative et l’avenir en commun que l’on peut construire ensemble. On peut ergoter sur les 40 annuités. A titre personnel, je considère que c’est trop. Revenir aux 37.5 annuités me parait être essentiel. Prendre en compte une partie des études supérieures, surtout professionnelles dans le calcul de la retraite est une urgence pour des générations qui se battent pour étudier. Cela n’est que détail pour l’heure. L’urgence est de stopper la chienlit néolibérale et la casse sociale. On défile pour les retraites mais également pour le pouvoir d’achat, pour la solidarité, pour retrouver un peu de fraternité autour d’un objectif commun.

Est-ce cela qui explique la défaite des organisations politiques dans cette mobilisation de jeudi ? La division que l’on observe dans le champ politique a desservi les partis qui ont manqué à proposer une alternative qui puisse être largement adoptée. La proposition de la France Insoumise, celle de revenir à 60 ans avec 40 annuités n’est pas partagée par l’ensemble de la gauche qui peine à trouver un point d’accord. Le désamour, le désaveu et la distance avec la politique se sont vus physiquement jeudi. Les 30 000 manifestants sont passés devant les cortèges politiques massés sur le pont du cours Albert Thomas avec, de ce que j’en ai perçu, peu d’intérêt. Dans la séquence, la politique est partout, les politiques peu présents. Le peuple assemblé est en dialogue direct avec la présidence de la République. Nul appareil n’est en position d’être une courroie de transmission de la colère populaire. Le rapport de forces interne au camp social étant en leur défaveur, les députés de gauche redoubleront d’ardeur pour porter la colère au sein de l’Assemblée Nationale, craignant d’être délaissés et de rater le coche.

Même les centrales syndicales paraissent être dans un équilibre précaire avec leurs bases. Dans la manifestation, les discussions étaient à la mobilisation, sous toutes ses formes, rapides, immédiates et sans attendre. La date du 31 janvier parait lointaine. Les syndicats et les AG de luttes décideront des actions à mener. Des initiatives sont déjà prises, les secteurs de l’énergie ont déjà commencé à agir, les collectifs de gilets jaunes prennent la rue. Dans les collèges et les lycées, les collègues se demandent déjà comment convaincre encore et plus largement à travers des actions locales. Le gage d’une mobilisation réussie sera d’établir une prise de conscience collective sur des enjeux locaux et nationaux. Le front intersyndical uni est pour l’instant une force. Le discours qui consistait à dire que se mobiliser ne servait à rien car les syndicats étaient divisés ne tient plus. Les gens font face à leurs contradictions. Une seule objection reste à lever, celle de la sécurité dans la manifestation. Nombreuses sont les histoires de militants que l’on se raconte, dont celle de la première manifestation. Celle-ci s’est faite à poussette, dans les bras d’un parent, enfant ou adolescent. Mais après des années de répression syndicale, de violence, de mutilations et de morts après la crise des gilets jaunes, on a toujours un sentiment d’appréhension quand on s’apprête à marcher.

La manifestation s’est déroulée dans un calme et une bonne humeur relative. Le froid n’a pas éteint le feu de la lutte, ni les quelques actes de violence qui émaillent invariablement les démonstrations populaires. Pourtant, ce n’est pas à Lyon qu’il faut porter la focale mais à Paris. Le tristement célèbre préfet Lallement, originaire de Lyon d’ailleurs, a été débarqué de son poste à la préfecture de police de Paris. Il est rare dans notre histoire contemporaine qu’un serviteur de la République française se soit comporté de manière aussi indigne avec un mouvement social. N’oublions pas que « nous ne sommes pas dans le même camp ». Les violences qui faisaient les gros titres de la presse résultaient d’un climat de défiance absolue et de brutalités policières incessantes. Lallement dehors, Nunez dedans. Le nouveau préfet de police de Paris, même s’il y a sans doute à redire, a radicalement changé la direction avec laquelle les affaires étaient menées. Le dialogue avec les organisations syndicales avant la manifestation est rétabli et le lien constant entre les services d’ordres syndicaux et les forces de polices est établi. Peu d’incidents ont eu lieu jeudi malgré la présence de centaines de milliers de manifestants dans la capitale. L’enseignement de cette nouvelle doctrine est central. Il sera plus difficile de monter en épingle les divers incidents afin de discréditer les manifestants. C’est un atout majeur dans la mobilisation qui nous occupe.

Après le 19, le 21. Ce 21 janvier est d’une triple importance pour ma famille politique. Le premier évènement s’est déroulé le 21 janvier 1793. C’est en ce jour que les Français rompirent les chaines qui les liaient à la royauté. Ni césar, ni monarque, ni tribun nous dit l’internationale. Chérissons le verbe et méditons les termes. D’ordinaire on mangeait de la tête de veau, j’attends la version végétarienne, moins symbolique mais peut-être meilleure pour la santé. Le deuxième évènement s’est déroulé à Paris. La marche des jeunes contre la réforme des retraites de ce samedi 21 janvier porte un enseignement central: les mouvements de jeunesse se sont emparé de l’enjeu du combat politique du moment et cherchent à peser. A l’instar de la marche de jeudi, la place des responsables politiques et des actuels partis se posent. L’accompagnement des mouvements sociaux doit pouvoir se faire sans que les uns et les autres reprennent à leur compte le succès de la mobilisation. Elle n’appartient qu’à un seul groupe, les manifestants.

Le troisième évènement s’est déroulé ce 21 janvier et j’étais, par complète coïncidence à quelques centaines de mètres. Ignorant, alors, complètement la situation, je ne résiste pas à vous la partager à cet instant. Le candidat néofasciste Eric Zemmour se trouvait dans un bouchon lyonnais avec quelques-uns de ses séides. Reconnu par les clients, il a essuyé une pluie de remarques avant d’essuyer plus littéralement une île flottante. Loin d’approuver la violence physique envers un responsable politique, quel qu’il soit, je considère qu’il est de santé publique de ne pas laisser d’espace à un fasciste qui divise le pays. Lyon a réaffirmé, dans un double jet de réaction et de dessert, son caractère antifasciste. Alors, camarades, le 31 janvier ou avant, partageons une île flottante, parlons du concret avant de partir en manifestation défendre notre idéal !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *